Le jour où je suis arrivée à Las Vegas (Part 1)
J’aime pas Vegas.
C’est moche. C’est tellement moche que ça en devient beau. Mais j’aime pas Vegas. C’est trop moche. Ça pue.
Cette ville est sordide : une farce, une mascarade déguisée en fontaine à fric. On a tous l’air de pantins ici. Sauf moi. Moi, j’ai l’air d’une conne.
111°F. C’est pas qu’il faut chaud, non, c’est pire. En fin d’après-midi, ya du vent ! Un vent brûlant qui vous cuit comme un kebab, comme si un mec avait branché un putain de radiateur d’appoint géant sur la ville ! Non merci, sans façons !
Ma seule consolation, c’est d’avoir la preuve formelle que Janis Joplin a, un jour, foutu les pieds ici. Comme en témoigne un entretien avec Bonnie Bramlett en 1970.
Mais j’aime pas Vegas.
J’ai roulé toute la journée depuis Tucson, remontant vers le nord de l’État, et le désert de l’Arizona m’a semblé bien monotone : montagnes rocheuses, cactus, cailloux et buissons secs pendant sept heures. Sortie du désert du Nevada, une ville américaine : en périphérie, des pavillons ternes “copiés-collés” par centaines, au centre, une architecture hybride entre le centre d’affaires et le parc d’attractions géant.
Le Circus Circus justement… Le plus grand parc d’attraction intérieur du monde ! “Les enfants l’adorent !” À croire que j’ai définitivement passé l’âge… Un hôtel monstrueux en forme de chapiteau de cirque, recouvert de loupiotes et de miroirs roses. Un bon point tout de même : Nicolette Larson en fond sonore dans le hall d’accueil. (Tout n’est pas perdu !) Éreintée, j’attends mon tour, comme tout le monde, en jetant un regard halluciné autour de moi : touristes en chaleur, télés avec Dora l’exploratrice, grosses moulures dégoulinantes en stuc, fresques rétro avec Pierrot, Bozo et tous leurs copains… Ça piaille dans tous les sens… Ça pue le plastique, l’air conditionné, la pizza et le fric. L’hôtel est tellement grand que la réceptionniste me tend un plan en couleur recto-verso afin que je puisse ne serait-ce que trouver le bâtiment dans lequel se trouve ma chambre.
Je récapitule : numéro de chambre, 2316; bâtiment C, 3e lettre de l’alphabet; 2e étage (nous, on dirait le premier mais chez eux le rez-de-chaussée compte déjà comme le premier alors…); numéro de téléphone du Circus Circus, 1-800-3056; indicateur téléphonique du bâtiment, 1603-3056; indicateur téléphonique de la sécurité, le 5; date de mon arrivée, 8-5-2011; heure, 6 (p.m., je le fais à l’américaine); température extérieure, 111°F; température moyenne intérieure, 60°F; date de création du Circus Circus, 1968; horaires d’ouverture de la piscine, 9 a.m. to 8 p.m.; estimation du temps du parcours de la réception à ma chambre (sur la base de 4 km/h) : 15 minutes; nombre d’emplacements de camping-car, 399; surface de l’espace “boutiques”, 3700 m2; nombre de machines à sous, 2400; horaires d’ouverture des tables de poker, 24h/24… Et bah les amis : ça m’en fait des possibilités pour jouer à la roulette ! J’en ai déjà la tête qui tourne. Et encore j’ignore quelle centaine d’employés travaillent dans cet “hôtel”, le nombre exact de chambres, le nombre de steack-frites servis par heure, le nombre de jeux de cartes que possèdent la maison, le nombre de taies d’oreiller lavées chaque jour, bref, il me manque encore plein de données ! J’y comprends rien à son plan à la nana, ya des bâtiments dans les bâtiments en fait !! Pfff…
Pour info, Las Vegas c’est la capacité hôtelière de San Francisco et San Diego réunis. Soit plus de 150 000 chambres. 1,6 million d’habitants. 37,5 millions de visiteurs en 2008. Ça vous donne une idée du merdier dans lequel je me trouve.
La chambre est propre et confortable. Je commence par remonter la température du climatiseur. Je réalise que ça fait une semaine que je n’ai pas fait un bon repas. Enfin, j’ai mangé des trucs je vous rassure, mais rien qui ressemble à un repas chez Mamie. J’ai pas oublié de cloper par contre… Et je me sens tellement fatiguée.… Je vais essayer de trouver quelque chose à grailler ce soir. Ça devrait pas être trop difficile dans ce patelin.
Un jour, Janis a croisé un clown des rues et lui lancé : “Hey, man, je parie que je me fais plus de fric que toi en faisant le même boulot !” (cité par Myra Friedman, in Buried Alive in The Blues)
«Une fois, à Las Vegas, on m’a demandé : “Mais où tu as appris à chanter le blues comme ça ? Où tu as appris à chanter de cette façon-là, si profonde ?” Mais j’ai pas appris, merde. J’ai juste ouvert la bouche, et ça s’est mis à sonner comme ça. On peut pas sortir quelque chose de valable si on le ressent pas. Je peux pas faire semblant. J’ouvre juste la bouche, et c’est là.»
August 15, 2011
2 responses to Le jour où je suis arrivée à Las Vegas (Part 1)
C’est normal pour une mini pousse d’être perdue dans un tel univers !
😀