Le jour où j’ai failli tomber amoureuse de Sam Andrew (Part 1)
J’ai peur. Tout le temps. J’ai toujours une petite peur cachée dans un coin prête à bondir.
Avant j’avais peur. Aujourd’hui, j’ai toujours peur. Mais quelque chose a changé. J’ai changé mon monde et je crois que ça m’a un peu changée de fait.
Plus je regarde ma peur dans les yeux, moins elle a d’emprise sur moi. Que ce soit une bonne vieille angoisse, une trouille bleue, une légère appréhension, une mégère déguisée en jeunette ou une débutante. Toutes. Toutes mes peurs. Je les fixe du regard, parfois avec bravade : “Alors comme ça tu veux me manger ? Et bah vas-y, j’t’attends !” Parfois avec calme : “Je suis là et je te vois.” Parfois avec dégoût : “Je croyais pas te trouver ici, beurk, tu me donnes envie de vomir.” Parfois je verse une larme… “Encore toi…”
Le plus souvent, c’est un silence, un face-à-face et une attente pendant laquelle je prends conscience de moi-même. Je me connecte avec mon moi profond et son désir, ce qui a pour effet, en général (le délai est variable) de me libérer du joug de cette peur. En tout cas, la peur est toujours là mais je lui fait un doigt d’honneur ou je la serre contre moi et je continue ma route.
Plus j’y pense plus je me rends compte que j’ai tellement envoyé bouler mes peurs ces derniers temps que je me sens quasi invicible parfois. Parfois seulement… Le reste du temps je m’entraîne !
Le week-end dernier, Morgan et Kelly étaient pas là, Idelgo chez les parents, seule dans la maison, je traînais sur internet à la recherche d’informations sur Janis Joplin. Je cherche page après page, blog, forums, etc. Et c’est là que sur un site obscur dédié au comté de Marin, je tombe sur cette information : “SAM ANDREW, the guitarist for BBHC and Joplin’s Full Tilt Boogie Band, still lives out in West Marin. He often spends his mornings at the Aroma Cafe in San Rafael, enjoying a cup of coffee and painting.” Pas de date mais mon sang ne fait qu’un tour ! Et je me sens toute excitée d’un seul coup car j’entrevois la possibilité de rencontrer Sam Andrew, Sam Andrew quoi merde !!! Ah là là…
C’est à ce moment précis qu’une bonne vieille appréhension se pointe.
J’ai peur d’avoir l’air d’une barge, que Sam Andrew pense que je suis une tarée qui le traque, que les gens pensent tous que je suis folle (est-ce que ça veut dire que dans le fond j’ai peur d’être normale, et de penser que les autres sont fous, ou bizarres ?). Déjà que je raconte partout que je suis à la recherche de Janis Joplin… J’ai aussi peur d’avoir l’air stupide, d’être rejetée, qu’on se moque de moi, que j’ai l’air ridicule, qu’on ne m’aime pas… Bref ! Toutes ces petites peurs familières se fondent en une grosse boule menaçante. Et moi, je la regarde, “Ah oui, tu crois vraiment ? Qu’est-ce qui me dit que tu as raison ? J’ai envie de voir.”
Alors ce matin, je me lève, pleine d’appréhension, d’excitation et d’espoir.
Deux heures plus tard, je me gare juste devant un café trendy : fresh food, thés bios et expos de peinture, l’Aroma Café à San Rafael.
Je le cherche des yeux… Le café, une grande salle jaune, est presque vide, je m’avance vers la caisse et demande à la serveuse :
– “Hi, I’m looking for Sam Andrew…” Et la serveuse demande à son collègue, et il me regarde d’un air suspicieux, du genre de “Qui êtes-vous ? Et qu’est-ce que vous lui voulez à Sam Andrew ? Et comment vous savez qu’il vient ici le matin ?” Un vrai chien de garde. Heureusement que j’ai pas ajouté que j’étais aussi “looking for Janis”… Peut-être que tout au fond je lui fait peur, alors je le regarde le plus tranquillement et innocemment du monde, toute en sincérité.
J’arrive trop tard, il vient juste de partir…
Je sais que je reviendrai demain. Il faut que le vois. Tant pis si j’arrive tard à Monterey. Tard à Los Angeles.
Je m’installe à une table du fond avec mon jus d’orange pressé et j’écris.
“Hi M. Andrews*,
I was in the Aroma Café yesterday hoping
to find you, but you’ve just left.
I’ll be there today at 8 a.m., maybe you
won’t be there, but I wish I’ll have a chance
to meet you…
If it’s not the case, let me tell you that
I am a Janis Joplin fan. I arrived from
France, for my first time in the United
States, three weeks ago in Texas. And
since then, I’ve been traveling alone through
the country, following her steps.
“Big Brother & The Holding Cie” is the very
first record I bought in my life, for
my 15th birthday… 15 years ago !
I would have been so happy to have
the opportunity to talk to you…!
Thank you for the music !
Best regards,
Lucie Bxxxxxx
PS : If you want to learn more about my
story : www.lookingforjanis.com”
Je déchire la page de mon carnet et avec une deuxième page, je bricole une sorte d’enveloppe sur laquelle je note “To Sam Andrews”** que je confie au cerbère. Ce dernier abdique devant mon insistance et la scotche ostensiblement au mur avec un signe de tête.
Je retrouve ma Chevrolet et le soleil de Marin County, Janis chante “Codine” et je réalise en l’écoutant présenter la chanson que Buffy Sainte-Marie en est l’auteur et ça me fait sourire parce que j’ai eu le privilège d’aller à son concert dimanche soir à Oakland et que j’adoré la voir toujours aussi vivante, toujours ce vibrato extraordinaire dans la voix !
Je décide d’aller photographier tous les lieux fréquentés dans le comté par Janis et Big Brother. D’abord le Motel 6 à San Rafael, anciennement le Bermuda Palms Hotel, où je discute avec la concierge et son collègue de l’ancienne salle de réception du lieu où Janis a joué en 1969 et où elle s’est tapé sur la gueule avec les Hell’s Angels, le mec m’indique le resto, “three blocks away on the right” où Dylan a écrit Highway 61 et le studio d’enregistrement pour les Grateful Dead derrière le motel devenu une sorte de quincaillerie. Puis, je passe voir le Sleeping Lady Café à Fairfax, un endroit que les membres de Big Brother aimaient bien et qui est devenu, lui aussi, un café trendy et bio. Ensuite, je roule vers Lagunitas pour la raison que vous savez et je rencontre vous savez qui au Paper Mill Creek Saloon. Enfin, je m’arrête à Sausalito pour photographier un café-restaurant nommé “Horizons” qui fut dans le temps “The Trident”, Janis y avait sa table attitrée et tous les musiciens branchés du coin venaient y passer du temps… C’est encore un peu le cas je crois… Face à la baie de San Francisco, sur la promenade, c’est là qu’Otis Redding écrivit “Dock Of The Bay”… À ce stade de ma journée, je refait un énième plein d’essence et discute avec le tenancier, un brin dragueur. Cette région est si belle, ensoleillée, si pleine d’histoires et de musiciens que je lève les yeux au ciel à la recherche, encore et toujours, de Janis Joplin. Je regarde autour de moi : la mer de l’autre coté du trottoir, les familles en vacances habillées de t-shirts colorés, les collines verdoyantes avec leurs maisons ombragées et leurs rues sinueuses. Oui, ma chérie, je comprends pourquoi tu aimais tant cet endroit, pourquoi tu voulais y vivre et pourquoi tu as souhaité y rester…
Demain, je serai de retour et “God only knows”…
Note de bas de page : Sam Andrew est le guitariste et chanteur à côté de Janis, ici au festival de Monterey, interprétant ensemble une des ses compositions.
* Je fais une faute d’orthographe à son nom au passage… Génial… Belle entrée en matière ! Quitte à surmonter ma peur du ridicule autant y aller franchement ! Sans compter les quelques fautes de conjugaison en anglais, ça fait moins prétentieux !
** Oui, oui, deux fois la faute, c’est plus crédible pour passer pour une ignare !
November 12, 2011
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