Le jour où j’ai eu trente ans (Part 1)
11 août 2011. Aujourd’hui, j’ai trente ans !
Trente ans bordel.
Bordel de merde.
Trente ans.
Je sais pas si je suis prête mais je les ai quand même.
J’ai trois souhaits pour cette journée. Le premier, c’est de me réveiller à San Francisco. Le deuxième, je le garde pour moi. Le troisième, c’est de me baigner dans l’océan avec les cendres de Janis Joplin…
Je suis mon propre génie de la lampe, et je réalise mon premier souhait vers 5.15 am, histoire de conduire Alexis et Tim à l’aéroport…
Mon deuxième souhait se réalise dans la mesure du possible, et de bon matin, je prends la route pour Larkspur. Au nord de San Francisco, dans le comté de Marin, cette petite ville abrite la dernière habitation de Janis Joplin, sa maison chérie, achetée fin 69. Il me tarde d’y être. Le temps est maussade, frais et blanc. Des nappes de nuages emportées par le vent traversent la baie. Je roule en musique sur le Golden Gate Bridge, l’immense structure métallique tendue vers le ciel est littéralement nimbée d’une matière blanche, vaporeuse et compacte. Impossible de l’apercevoir tout entier, impossible de voir la mer ou la ville ou quoi que ce soit d’autre qu’une route dans les nuages. Au fur et à mesure que je m’enfonce dedans, je me demande si ce pont débouche sur une terre ferme ou s’il n’est pas tout simplement un passage vers un autre monde, dans les cieux.
Le soleil se découvre peu à peu alors que j’approche de Sausalito.
Zigzaguant dans les rues de Larkspur, je contemple le chemin parcouru pour Janis de Port Arthur aux quartiers résidentiels chics, verdoyants et ensoleillés de la ville californienne. Janis, ma belle, tu t’es bien embourgeoisée sur la fin ! Marin County, comté le plus riche des États-Unis et qui garde pourtant cette simplicité, cette nature sauvage.
Mon copain Tom-Tom me balade une fois de plus et je me retrouve perdue au milieu des beaux pavillons et des séquoias. C’est là que j’abaisse la vitre pour m’adresser à la seule personne aux alentours. Et c’est ainsi que je fais la connaissance de Zachary, la bonne quarantaine sportive et raffinée, professeur de yoga de son état, originaire d’Hawaï en visite chez sa sœur. À son regard quand il se penche dans la voiture et me parle en français, je jette un coup d’œil au loquet de la portière, au cas où… Il ne sait pas où est la maison de Janis, ni West Baltimore Avenue mais me recommande d’aller demander au Silver Peso, Downtown, où, me dit-il, Janis avait l’habitude de boire des verres en jouant du piano. Moi qui ignorais cette anecdote, j’arbore alors mon sourire le plus radieux ! Nous discutons un moment de signes du zodiaque, des Capricornes notamment comme Janis, du mien vu que c’est mon anniversaire aujourd’hui, de la France où il a vécu quelques années… Il insiste pour me laisser son numéro de portable. Bah oui, c’est vrai, ça peut servir, des fois que je me perde encore… Bien sûr !
– “Thank you for your help Zachary, it was a nice talk !”
– “Bye Bye Lucie !”
J’ajoute en riant :
– “Namasté !”
Il sourit et joint les mains en s’inclinant. Je l’imite en souriant.
Il fait beau, chaud et l’air est chargé du parfum des résineux. Le Silver Peso est l’archétype du bon vieux bar américain tel qu’on le voit dans les séries télés. La lumière du jour filtre à peine à travers les vitrages. En pleine journée, un jeudi, seuls deux ou trois types boivent leurs bières, seuls, assis au comptoir, en silence. Ils lèvent la tête quand il me voit débarquer dans la place en secouant mes grandes boucles d’oreilles à paillettes. Le mec derrière le bar, quant à lui, est l’archétype du barman américain : casquette, tatouages et grosses paluches. Je prend un air innocent et confiant, comme si je sentais pas les regards intrigués posés sur moi, je relève mes grosses lunettes de soleil roses et m’adresse au barman.
– “Puis-je utiliser les toilettes, s’il-vous-plaît ?”
Bah, oui, j’ai pas que ça à foutre moi, je suis à la recherche de Janis Joplin, je vais tout à suite à l’essentiel.
Je prends une grande inspiration et je sors des toilettes. D’un pas décidé, je m’assois au bar et je me penche vers le barman.
– “Je vous explique : je suis fan de Janis Joplin et aujourd’hui c’est mon trentième anniversaire, alors avant toute chose, je vais prendre un Southern Comfort “on the rocks” !”
Je me sens surexcitée, oui, je m’amuse comme une petite folle, j’ai la sensation que plus rien ne peut m’arrêter ! On est le 11 août 2011, je voyage seule à travers les États-Unis depuis 3 semaines, à la poursuite de Janis Joplin, emportant avec moi ma joie vivre et un flacon d’antibiotiques…
J’explique brièvement ma mission au barman et la raison de ma venue à Larkspur.
Le mec est un peu décontenancé, un peu amusé. J’attends toujours mon verre de “SoCo”. Avec son putain d’accent, il me dit :
– “Je peux voir votre carte d’identité ?”
– “J’ai trente ans aujourd’hui !”
– “Je peux voir votre carte d’identité ?”
– “Bien sûr…”
Il examine mon passeport.
– “Vous avez PAS DU TOUT l’air d’avoir trente ans !”
Évidemment, à mon grand âge, ça me fait plaisir, je jubile !
Il me montre un panneau fait maison avec du papier de couleur et des photos collés racontant l’histoire du lieu. Il y a une faute à “Janice Joplin”. Il me présente le piano et m’indique son emplacement original. Je fais des tas de photos ! Pendant ce temps, le mec se penche sur le jukebox.
Je regagne ma place au comptoir. Un habitué me reluque depuis l’autre bout. Imperturbable et joyeuse, je soulève mon verre glacé et je porte un toast “To you Janis, and to me, to us darling !” À ce moment précis, “Coo-Coo” retentit à fond dans le bar !! Je suis plus exaltée que jamais !! La boucle est bouclée ! (cf. Le jour où j’ai rencontrée Janis Joplin – Part 2)
– “Hey ! That’s my favorite !!! Did you know that ??!!!”
Le barman sourit et me tend sa grosse main halée, give him five !!!
Il est 1.10 pm, l’heure de ma naissance. Je souris aux anges, surtout à celui de Janis Joplin !
Je sirote mon Southern Comfort, “Drinks are on Pearl”*, bientôt je quitterai le bar, je verrai la maison qu’elle adorait, je m’immergerai dans l’Océan Pacifique avec elle… Il me reste encore ce souhait à réaliser. En attendant, je savoure cette minute.
*Petit mot laissé par Janis à ses amis pour la fête prévue à son enterrement.
Et pour bien comprendre l’ambiance, je vous remets une couche de “Coo-Coo”…
Aujourd’hui, encore une fois, je suis ma meilleure amie…
September 10, 2011
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