Le jour où j’ai visité la maison hantée
Michelle a entendu parler d’une rumeur à propos de la maison d’une bénévole du musée. Une maison située dans le quartier historique de Beaumont (pas vraiment la vieille ville comme chez nous, plutôt la moins récente, avec un programme de sauvegarde architecturale). Une maison cossue, comme on en trouve ici, “on Brodway, just like New York”. Sauf qu’à part le nom de la rue, il y a pas beaucoup de points communs avec la Big Apple.
Michelle s’informe pour moi et m’arrange un rendez-vous avec la propriétaire. Sandra et son mari ont acheté cette maison il y a 12 ans, et depuis, ils sont toujours en travaux. Les anciennes maisons en bois de Beaumont sont très dures à entretenir, notamment à cause des termites. Ça donne envie d’habiter la région toutes ces histoires, avec les risques d’ouragans (il y en a un prévu pour vendredi, ouf, je serai déjà partie), les moustiques géants (les autochtones m’assurent qu’ils n’en avaient pas vu autant depuis des années mais dans le doute), les églises baptistes, méthodistes, luthériennes, réformées, à tous les coins de rue (une concentration particulièrement impressionnante à Beaumont), la bouffe en plastique et j’en passe… Mais ce n’est que quelques temps après leur emménagement que Sandra a été informée de la véritable histoire du lieu.
En 1961, dans Broadway Street, se tenait un club appelé “The Halfway House and Coffee”. Une sorte de bar, avec une galerie d’art dans l’entrée, des tables, du café, quelques sandwichs, et une petite scène. Et c’est là que Janis Joplin a donné son premier concert ! Une prestation rémunérée avec des vrais spectateurs.
Je me sens incroyablement privilégiée et chanceuse de pouvoir mettre ne serait-ce qu’un pied dans cet endroit ! Pour tout dire, je suis supra-excitée !
Sandra est ravie de m’accueillir car elle adore sa maison, la rumeur, la décoration à la “Nord et Sud”, les cristaux de roches, les poupées en porcelaines, les petits chats en poils avec nœud-nœud, les lustres hors de prix, les trucs Tiffany, et tout. Elle reste un peu méfiante envers les étrangers attirés par la légende et ne souhaite pas faire visiter la maison au tout venant, en même temps elle est tellement fière de son passé historique !
En entrant, j’ai l’impression de voyager dans le temps, mais pas dans les années 60 à vrai dire. Elle me montre chaque détails, m’explique la configuration de l’endroit du temps de Janis.
À l’étage, l’émotion est palpable : non seulement Janis s’est changée avant le concert dans ce qui est actuellement un débarras contenant un stock hallucinant de décorations de Noël, mais surtout, elle a gravé son nom sur la rampe d’escalier !!! Incroyable, ou presque… Évidemment, Sandra est soucieuse car, comme à Compostelle, chaque pèlerin veut toucher l’inscription qui commence à s’effacer. Elle envisage donc sérieusement de faire mettre une vitre dessus. D’après elle, une chanteuse jalouse aurait barré le nom de Janis, ce qui expliquerait pourquoi Janis aurait ensuite ajouté “Joplin” en dessous. Mouais, bon, “why not”… (Michelle et Lawrence appelle ça la “Lucie’s philosophy” ce qui m’amuse beaucoup). Je tente de faire une photo, je dois ressembler à une sorte de détective… (“Looking for Janis”)
Je suis légèrement perplexe ceci dit… Mais j’ai trop envie d’y croire ! (Je reste une putain de fan nom de Dieu !) De toute façon, une chose est sûre : Janis était là, elle a forcément posé sa main sur cette foutue rampe d’escalier ! Je sais de source sûre qu’elle a gravé son nom sur une table de chez Kenneth Threadgill à Austin, authentique ! Alors, franchement, je me dis qu’elle devait avoir la manie de graver son nom dans le bois un peu partout.
Sandra collectionne donc tous les articles sur sa maison. Et il y en a un surtout qui retient son attention. En effet, la voisine d’en face aurait aperçu un spectre rôdant la nuit autour de la bâtisse… Photo à l’appui. Je jette un regard entendu à Michelle : “Mouais, le viseur de l’appareil devait être plein de buée, pas étonnant avec toute cette humidité”… Un long halo blanc passe devant les fenêtres de la vieille maison, hum… Mystique !
On continue le tour du propriétaire, l’air est moite et je me demande comment le chat de la maison peut survivre à l’extérieur…
C’est dans cette pièce, à la place de la cheminée que Janis chantait, face au public.
On voit pas bien l’esprit frappeur sur cette photo mais de nuit c’est plus flagrant:
Quand je suis rentrée le soir même, il y avait un paquet sur la table avec ce mot : “To Lucie From Janis”. Encore un coup du fantôme !!! Une bonne bouteille de Southern Comfort véritable, 50% d’alcool (ils ont changé la recette, attention aux imitations !).
Alors avec Michelle et Lawrence, on a trinqué à Janis ! Et je leur ai promis d’offrir un verre de cette délicieuse liqueur à tous les gens que je croiserai dans ma quête ! Pas sûr qu’il en restera quand je rentrerai en France !
Son esprit rôdait autour de nous en hurlant “Cry Baby”, nous étions gais et heureux, le Southern Comfort “on the rocks” était sirupeux et doux…
(NB : Vous ne pouvez pas apprécier cette photo sans la musique, à bon entendeur…)
July 28, 2011 3 Comments
Le jour où j’ai pleuré devant la maison de Janis Joplin (Part 2)
Port Arthur est une ville côtière du Sud texan, à la frontière avec la Louisiane. L’exploitation du pétrole est la principale source de revenus de ses habitants. Dans les années 50, le père de Janis était ingénieur chez Texaco. En janvier 2010, la ville a été victime d’une marée noire : 1,7 million de litres de pétrole brut déversé suite à une collision entre une péniche et un pétrolier. Les maisons individuelles s’alignent les unes après les autres, parfois blanches, parfois délabrées et sales, bois pourri, fast-foods en ciment dégueu et végétation florissante. Et puis aussi des maisons de type colonial qui font face à la mer. Ici c’est “Don’t fuck with me, I won’t fuck with you”. En français : “Chacun chez soir et les vaches sont bien gardées”, expression qui conviendrait bien aux cow-boys du coin.
Une petite ville bien tranquille et suffocante.
Janis haïssait cette ville et elle le lui rendait bien !
Ma voiture s’engage dans 32nd Street.
Michelle, chez qui je dois “couchsurfer” le soir-même à Beaumont, m’a envoyé une vidéo que son boyfriend a tournée avec son club de scooter autour de la maison de Janis et je me souviens qu’il y a moyen de se garer en face.
Effectivement, quand le GPS m’annonce “Vous êtes arrivé(e)”, je me gare sur le parking de l’église juste en face.
Je descend de voiture (ils devraient prévoir une petite échelle, sérieux) et je longe la rue. Je savoure l’instant. Je traverse et je reste plantée là, comme une conne. Les pieds dans l’herbe (ils connaissent pas les trottoirs, ça servirait pas à grand chose là-bas).
Je me rends bien compte que la maison est aujourd’hui habitée par une petite famille américaine tranquille, qui ne souhaite certainement pas voir une étrangère armée d’un appareil photo mater leur maison comme ça. Alors je me dirige vers le panneau que des souscripteurs ont offerts à la ville.
Et là je chiale.
Et je chiale encore en y repensant.
Putain, c’était là. Et j’y étais. Seule devant une banale maison blanche. Avec un petit âne en plastique devant le perron.
Les habitants me voient, mais nous restons à distance.
Moi je suis envahie par la joie, la fierté et la tristesse en même temps.
Je pense à Janis, qui n’est plus là. Je ressens son absence et ça me fait mal… Je pense à moi, ici, à cet instant : enfin je me tiens enfin devant sa maison, seule, et j’assouvis ce putain de rêve qui me tient depuis 15 ans qu’un jour j’irai à Port Arthur et que je la verrai. Et voilà ! Quelle joie ! Quelle fierté !
Il y a aussi un sentiment bizarre… Celui d’embrasser l’ado de 15 ans que j’étais et de lui dire “Don’t be sad, Little Girl Blue, you’ll see, you will do it in the end, you’ll find a way.”
J’ai envie d’envoyer des ondes d’amour à Janis Joplin où qu’elle soit et si ces ondes ricochent, qu’elles ricochent sur l’Univers !
Alors je pleure, sans m’arrêter. Émue, je regarde le panneau, les gris-gris posés dessus, la maison, la rue, le ciel.
Autour de moi, les gens traînent sur le perron, les voitures continuent de rouler, les oiseaux bizarres piaillent… Alors, je retourne vers le parking, bouleversée. Je monte dans ma Chevrolet.
Et je démarre.
July 26, 2011 4 Comments