Le jour où j’ai interviewé ma prof d’anglais (Part 2)

Le lendemain en cours de composition typo, on reparlait de cet épisode et j’ai dis à Domi :
– “Oh, ça m’a fait un choc !
– Ah c’est clair, j’ai bien cru que t’allais pleurer…
– Moi aussi j’ai bien cru que j’allais pleurer !!”
Et Julie a rajouté :
– “Putain, j’aurais trop aimé être là !…”

Bien sûr, je pouvais pas rester sur ça, il me fallait une trace de cette connexion avec Janis Joplin. Mme B. ne gardait pas un très bon souvenir de Janis et me prenait pour une fille amatrice de presse people. J’essayais de lui expliquer, mais j’avais le sentiment de m’enfoncer… Quand Julie a dit :
– “Ah mais non, c’est pas du tout ça !” Mme B. m’a observée avec son sourire en coin qui ne la quittait pas mais le sarcasme avait quitté son regard.

Julie m’a prêté son dictaphone et Mme B. a accepté l’interview (je lui avait vendu le fait que si elle acceptait, on ferait l’entretien en anglais, quelle négociatrice !). On s’est assises sur un muret de la cour. J’ai pointé le dictaphone sur elle :
– “So, how did you meet Janis Joplin ?
– En 1967, je suis partie à San Francisco avec une amie pour être filles au pair. Mais très vite, ça nous a pas plus, alors on est parties. Je savais pas où aller mais ma copine m’a dit que je pouvais venir vivre avec elle et son petit ami. Il était l’assistant d’Albert Grossman et ils vivaient en communauté au nord de San Francisco. Moi, je connaissais personne. Je savais pas que tous ces gens étaient amenés à devenir des stars. La maison était juste à côté de celle de Janis Joplin, d’Electric Flag et du Grateful Dead, et elle appelait le soir en pleurant, en geignant, parce qu’elle se trouvait mauvaise, qu’elle doutait de sa voix (sourire sarcastique à nouveau). Et puis, deux ans plus tard, elle a fait un concert à l’Olympia à Paris…
Yes, yes, on April 13th 1969 !
Elle souriat malicieusement cette fois.
– “… Exactement… Ma copine et moi on lui a fait savoir qu’on était là et elle nous a invité en coulisses. On a passé la soirée avec elle après le concert, on était toutes contentes ! Mais elle ne s’intéressait pas à nous, elle nous ignorait alors qu’on avait passé tellement de bons moments ensemble en Californie… Elle cherchait plutôt à draguer. Elle était vraiment pas très sympa, elle aimait pas beaucoup les filles, vous savez…” Elle semblait avoir gardé un mauvais souvenir de cette soirée.
– “Ça ira ?
Yes, thank you so much !
En se quittant, elle m’a dit :
– “Et je ne vous pas parlé des grand messes au Fillmore avec Jefferson Airplane !” J’ai hésité à lui demander du rab. J’aurais pas dû…

Le pire c’est que, dans mes déménagements successifs, je mets plus la main sur cette cassette… Alors je vous raconte tout ça de tête ! Et je m’en souviens comme si c’était hier, sauf que je me rappelle plus du nom de l’assistant d’Albert Grossman ! C’est légèrement frustant… Mais je revois son petit air nostalgique à la fin, alors qu’elle s’approchait du distributeur de bonbons et que moi j’allais de ce pas m’enfoncer dans les entrailles de l’école où se trouvait notre salle de classe pour raconter tout ça à Julie !

Trois ou quatre ans plus tard, en montant dans le métro parisien à la station Arts et Métiers, j’ai vu Mme B. assise sur le strapontin du fond et je me suis dirigée vers elle :
– “Bonjour ! Vous vous souvenez de moi ?
– “Ah oui, c’est vous Mike Bloomfield* ?
Je me suis retenue pour ne pas éclater de rire.
– “Non moi c’est Lucie B. mais si vous voulez ! Oui, c’est moi !”

Cette anecdote me fait encore rire avec le recul. Et à présent, en août 2011, je roule vers Lagunitas où Janis habitait avec Big Brother and The Holding Cie en 1966, juste à côté de la maison des Grateful Dead et de celle d’Albert Grossman où vivait la future Mme B. et je pense à elle… Des maisons perdues dans les collines, pleines de soleil, de grands arbres, d’herbes, de fleurs et d’odeur de résine… J’écoute Janis chanter “Turtle Blues” en conduisant. “I guess I’m just like a turtle/That’s hidin’ underneath it’s horny shell./Whoa, whoa, oh yeah, like a turtle/Hidin’ underneath it’s horny shell…”
Si j’avais su à l’époque je ferais ce grand voyage… Quand je pense que c’était juste ma prof d’anglais !

Mes amies qui se sont reconnues, je vous dédicace cet article, “for old times sake girls” !

 

 

Note de bas de page : Je précise que j’écoute exactement cette version-ci de “Turtle Blues”, extraite de l’album “This is Janis” que j’ai acheté sur Haight Street pour une bouchée de pain… Un disque d’enregistrements rares produit “maison” par James Gurley, guitariste de Big Brother & The Holding Cie, décédé fin 2009.
Et le paysage défile sous un soleil éclatant… Et le disque est dédicacé par James Gurley lui-même, elle est pas belle la vie?! 

* Musicien californien des années 60, à l’origine du groupe Electric Flag avec Nick Gravenites. Ils ont tous les deux participé, à la guitare pour le premier, à l’écriture pour le second, au premier album solo de Janis : “I’ve Got Dem Ol’Kozmic Blues Again Mama”
Here they are…

October 11, 2011  Comments Off on Le jour où j’ai interviewé ma prof d’anglais (Part 2)

Le jour où j’ai interviewé ma prof d’anglais (Part 1)

J’ai bien failli tomber de ma chaise à roulettes cette après-midi-là.
Et je suis rentrée surexcitée chez moi. Et ma mère a appelé et je lui ai raconté :
– “Ça m’a fait un tel choc qu’une personne de mon quotidien, comme ça, en France, que je vois toutes les semaines, ait connu Janis !!! Elle la connaissait vraiment ! Elle lui a parlé et tout ! Tu te rends compte, c’est dingue !! Et moi qui suis en cours avec elle depuis deux ans ! C’est juste ma prof d’anglais quoi…!! C’est dingue ! C’est complètement dingue ! Ça m’a complètement bouleversée !”
– “Oui, j’imagine…!” m’a-t-elle répondu calmement.
– “On parle toujours de cette théorie comme quoi on est à sept personnes de tout le monde… Ça paraît délirant et pourtant tu rends compte que, là, je suis à UNE personne de Janis Joplin !”

Un jour, j’ai été étudiante. Un jour, j’ai été à un mois du diplôme de fin d’études. C’était à Paris. Ouaip. Il y a un petit moment déjà… On était que huit dans la classe, huit meufs. Et il avait cette rumeur qui courrait dans l’école à propos de la prof d’anglais qui, malgré son abord bourgeois et un peu coincé, aurait connu Nico et Jim Morrison dans sa jeunesse. Je me disais après tout pourquoi pas, les deux ont vécus à Paris à la fin des années 60, début des années 70 et la prof en question devait bien avoir entre 55 et 60 ans.
Vers le mois de mai de la dernière année, l’ambiance s’était un peu relâchée (déjà qu’elle était pas hyper tendue…), en gros, on faisait cours en cercle dans la salle informatique, assises sur des chaises à roulettes, on faisait nos exposés sur des maîtres typographes en anglais et on se tapait la tchatche en français… Je me souviens que Julie était pas là ce jour-là parce qu’elle a bad-tripé après coup d’avoir raté ce moment.

Donc, un jour, j’étais en cours avec cette prof, au mois de mai 2005, dans la salle informatique. On a évoqué Bob Dylan il me semble… Et je sais plus comment c’est arrivé sur le tapis mais elle nous a balancé comme ça, avec son indéfinissable petit sourire continuellement accroché à ses lèvres, qu’elle avait bien connu Albert Grossman… Elle pensait nous apprendre qui c’était mais j’ai fini sa phrase : …” qui était le manager de Bob Dylan et de JANIS JOPLIN !!!!!” Je venais de recevoir un putain d’électrochoc !
Je me souviens du regard qu’elle a posé sur moi quand j’ai parlé en même temps qu’elle : intrigué et amusé.
Moi, je devais avoir un regard de folle, parce que d’un coup je la fixais avec acuité, buvant ses paroles, tendue sur ma chaise, comme un chien à l’arrêt.
Quand elle a compris qu’elle faisait son p’tit effet, elle a enchaîné sur le reste de l’histoire… Comment elle en est venue à me dire que Nick Gravenites lui avait appris à faire la “chicken soup”, je sais plus bien, mais mon cerveau était en train de bouillir ! J’hallucinais complètement, j’étais passée dans une autre dimension… J’avais envie de lui poser 5000 questions à la fois et en même temps j’avais perdu la voix.
Domi, apparemment impassible, souriait du coin de l’œil, Marike ouvrait les yeux bien grands, et Mv pouffait de rire en silence…
C’était devenue une conversation entre elle et moi, les autres se délectaient du spectacle.
La bombe quelle venait de lancer cette femme !

 

Un jour je vais finir comme ça :

ou ça :



October 9, 2011  Comments Off on Le jour où j’ai interviewé ma prof d’anglais (Part 1)

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