Le jour où j’ai eu trente ans (Part 2)

Le barman se penche vers moi et me dis avec un signe de tête : “He knows where Janis Joplin’s house is…” Je saute de mon tabouret et sautille à la rencontre de l’homme assis derrière sa bière de l’autre côté du comptoir. Un gars du coin qui me propose de le suivre, lui et son collègue, en voiture pour m’indiquer la maison. Son voisin, un grand type brun et jovial, me dit : “I remember Janis Joplin, I used to see her walking around with her dog”.
– “Oh really ? How long have you been living in Larkspur ?”
– “I’ve spent all my life there.”
Je me remercie le mec à la bière et retourne à ma place.

Je finis mon verre alors que la voix de Janis résonne dans le bar : “Talkin’ about the Kozmic blues, you know what I mean, yeah… if you don’t know what I mean, you will soon enough…” Elle rit… “So… Time keeps movin’ on, friends they turn away, I keep movin’ on…

Le barman me dit “Ils s’en vont maintenant.”
Je cherche mon porte-monnaie.
– “C’est ton anniversaire, non ?” dit-il avec un clin d’œil.
Je lui lance un immense sourire.
– “Whoa ! Thank you !”
On se tape dans la main à nouveau.

Le verre de Southern Comfort est loin d’être vide et il ajoute :
– “Laisse-le là, tu le finiras en revenant.”
– “Je vais à Stinson Beach après, alors je reviendrai en fin d’après-midi…”
– “Oh si c’est ça, tu vas devoir le finir maintenant, sweetie !”
Il faut pas le dire deux fois à moi des trucs comme ça ! J’engloutis le SoCo glacé cul sec sous le regard amusé des clients et du barman. Je tape le verre sur le comptoir et riant et il me tend la paume de sa main à nouveau, je claque la mienne dessus encore une fois puis je serre sa main dans la mienne en souriant : “Thank you, I’ll never forget !”
On se quittant en riant !

Je monte dans ma Chevrolet, les mecs dans leur pick-up, on démarre, je les suis, confiante et gaie. On s’enfonce dans la forêt à travers des rues sinueuses et au bout d’une impasse, un des gars pointe du doigt une maison de bois surplombant un torrent. Je lève mon pouce, on se quitte en secouant nos mains à travers les vitres.
Je me gare, descends de voiture et respire à plein poumons l’odeur tranquille des conifères. Pas d’autres sons alentours que le bruissement des arbres, l’eau qui s’écoule gaiement et quelques oiseaux qui chantent.
Une maison simple et belle en retrait de l’agitation du monde.
Je reste là de longues minutes.

Janis, en 1970, tu as écris à Linda Gravenites pour qu’elle te rejoigne à Larkspur, t’as écrit : “Tu te souviens qu’on avait discuté des deux façons d’affronter le Kozmic Blues… L’une consiste à se défoncer et à connaître le plus de bon temps possible, la seconde à tenter de s’accepter et de se mettre en accord avec soi-même. Et bien, je vais tenter la façon n°2. Plus de dope, promenade en forêt, reprise du yoga, peut-être même de l’équitation (te marre pas), et puis essayer d’apprendre le piano – il me semble que tout ça, au-delà de l’excitation d’acquérir une maison aussi paisible, tout ça devrait être merveilleux.”
Janis, depuis quelques jours j’y réfléchis sérieusement, parce que tu vois, je passe la trentaine, le temps me presse plus fort que jamais, j’ai peur d’être malade un peu, et je veux pas mourir… Et tu sais, je crois que j’ai une autre idée pour affronter le Kozmic Blues… Je crois que la première façon c’est de la merde, tu vois où ça t’as menée ? Et je crois que la deuxième façon est à chier aussi, attends, laisse-moi finir : à quoi bon se promener en forêt et apprendre le piano si tu trouves pas en toi le désir de vivre malgré la mort et le temps qui passe ? C’est pas en bouffant des légumes que tu deviens souriante, c’est des conneries tout ça, ça aide aller bien mais ça guérit pas la dépression, ça se saurait ! Et je suis pas sûre que ce soit juste une question d’acceptation de soi, même si ça me semble nécessaire… Oui sans doute nécessaire mais pas suffisant… J’ai une autre ambition, pour moi, pour nous…
T’as dit à Joe Whitaker un jour que tu pensais être la réincarnation de Bessie Smith, moi j’ai écris un jour sur internet que je pensais être ta réincarnation. Je sais pas si c’est vrai, mais il me semble qu’il y a tout même un peu de toi en moi. Et si tu respires à travers moi, si j’ai le pouvoir de revivre pour toi, je voudrais t’offrir la vie la plus heureuse, la plus festive, intéressante et enrichissante et passionnante et simple qui soit ! Vivre longtemps en paix ensemble, avec les autres et avec l’Univers tout entier. Bessie Smith et toi, vous en avez trop chié dans la vie. Alors, je voudrais vous donner l’amour et la confiance que vous n’avez pas pu trouver en vous.
Et si je suis un peu de toi, il me faut bien t’accepter telle que tu es et t’aimer ainsi. Mais laisse-moi suivre le soleil, laisse-moi fuir les ténèbres. Aide-moi, chante dans mon oreille. J’entretiendrai le feu qui brûle en nous. Cette énergie qui transcende la peur. Aujourd’hui, c’est mon trentième anniversaire. J’ai cherché la solution au Kozmic Blues et j’attends de me baigner avec ce qu’il reste de toi pour te parler de la méthode que j’ai imaginée…

Je remonte en voiture. En musique.
“If you forget my love, I’ll try to remind you, and stay by you when it don’t come easy” *…

Leaving Stinson Beach

 

*Ruthie Foster – Live at Antone’s

September 15, 2011  Comments Off on Le jour où j’ai eu trente ans (Part 2)

Le jour où j’ai eu trente ans (Part 1)

11 août 2011. Aujourd’hui, j’ai trente ans !
Trente ans bordel.
Bordel de merde.
Trente ans.
Je sais pas si je suis prête mais je les ai quand même.

J’ai trois souhaits pour cette journée. Le premier, c’est de me réveiller à San Francisco. Le deuxième, je le garde pour moi. Le troisième, c’est de me baigner dans l’océan avec les cendres de Janis Joplin…

Je suis mon propre génie de la lampe, et je réalise mon premier souhait vers 5.15 am, histoire de conduire Alexis et Tim à l’aéroport…
Mon deuxième souhait se réalise dans la mesure du possible, et de bon matin, je prends la route pour Larkspur. Au nord de San Francisco, dans le comté de Marin, cette petite ville abrite la dernière habitation de Janis Joplin, sa maison chérie, achetée fin 69. Il me tarde d’y être. Le temps est maussade, frais et blanc. Des nappes de nuages emportées par le vent traversent la baie. Je roule en musique sur le Golden Gate Bridge, l’immense structure métallique tendue vers le ciel est littéralement nimbée d’une matière blanche, vaporeuse et compacte. Impossible de l’apercevoir tout entier, impossible de voir la mer ou la ville ou quoi que ce soit d’autre qu’une route dans les nuages. Au fur et à mesure que je m’enfonce dedans, je me demande si ce pont débouche sur une terre ferme ou s’il n’est pas tout simplement un passage vers un autre monde, dans les cieux.
Le soleil se découvre peu à peu alors que j’approche de Sausalito.

Zigzaguant dans les rues de Larkspur, je contemple le chemin parcouru pour Janis de Port Arthur aux quartiers résidentiels chics, verdoyants et ensoleillés de la ville californienne. Janis, ma belle, tu t’es bien embourgeoisée sur la fin ! Marin County, comté le plus riche des États-Unis et qui garde pourtant cette simplicité, cette nature sauvage.

Mon copain Tom-Tom me balade une fois de plus et je me retrouve perdue au milieu des beaux pavillons et des séquoias. C’est là que j’abaisse la vitre pour m’adresser à la seule personne aux alentours. Et c’est ainsi que je fais la connaissance de Zachary, la bonne quarantaine sportive et raffinée, professeur de yoga de son état, originaire d’Hawaï en visite chez sa sœur. À son regard quand il se penche dans la voiture et me parle en français, je jette un coup d’œil au loquet de la portière, au cas où… Il ne sait pas où est la maison de Janis, ni West Baltimore Avenue mais me recommande d’aller demander au Silver Peso, Downtown, où, me dit-il, Janis avait l’habitude de boire des verres en jouant du piano. Moi qui ignorais cette anecdote, j’arbore alors mon sourire le plus radieux ! Nous discutons un moment de signes du zodiaque, des Capricornes notamment comme Janis, du mien vu que c’est mon anniversaire aujourd’hui, de la France où il a vécu quelques années… Il insiste pour me laisser son numéro de portable. Bah oui, c’est vrai, ça peut servir, des fois que je me perde encore… Bien sûr !
– “Thank you for your help Zachary, it was a nice talk !”
– “Bye Bye Lucie !”
J’ajoute en riant :
– “Namasté !
Il sourit et joint les mains en s’inclinant. Je l’imite en souriant.

Il fait beau, chaud et l’air est chargé du parfum des résineux. Le Silver Peso est l’archétype du bon vieux bar américain tel qu’on le voit dans les séries télés. La lumière du jour filtre à peine à travers les vitrages. En pleine journée, un jeudi, seuls deux ou trois types boivent leurs bières, seuls, assis au comptoir, en silence. Ils lèvent la tête quand il me voit débarquer dans la place en secouant mes grandes boucles d’oreilles à paillettes. Le mec derrière le bar, quant à lui, est l’archétype du barman américain : casquette, tatouages et grosses paluches. Je prend un air innocent et confiant, comme si je sentais pas les regards intrigués posés sur moi, je relève mes grosses lunettes de soleil roses et m’adresse au barman.
– “Puis-je utiliser les toilettes, s’il-vous-plaît ?”
Bah, oui, j’ai pas que ça à foutre moi, je suis à la recherche de Janis Joplin, je vais tout à suite à l’essentiel.

Je prends une grande inspiration et je sors des toilettes. D’un pas décidé, je m’assois au bar et je me penche vers le barman.
– “Je vous explique : je suis fan de Janis Joplin et aujourd’hui c’est mon trentième anniversaire, alors avant toute chose, je vais prendre un Southern Comfort “on the rocks” !”
Je me sens surexcitée, oui, je m’amuse comme une petite folle, j’ai la sensation que plus rien ne peut m’arrêter ! On est le 11 août 2011, je voyage seule à travers les États-Unis depuis 3 semaines, à la poursuite de Janis Joplin, emportant avec moi ma joie vivre et un flacon d’antibiotiques…

J’explique brièvement ma mission au barman et la raison de ma venue à Larkspur.
Le mec est un peu décontenancé, un peu amusé. J’attends toujours mon verre de “SoCo”. Avec son putain d’accent, il me dit :
– “Je peux voir votre carte d’identité ?”
– “J’ai trente ans aujourd’hui !”
– “Je peux voir votre carte d’identité ?”
– “Bien sûr…”
Il examine mon passeport.
– “Vous avez PAS DU TOUT l’air d’avoir trente ans !”
Évidemment, à mon grand âge, ça me fait plaisir, je jubile !

Il me montre un panneau fait maison avec du papier de couleur et des photos collés racontant l’histoire du lieu. Il y a une faute à “Janice Joplin”. Il me présente le piano et m’indique son emplacement original. Je fais des tas de photos ! Pendant ce temps, le mec se penche sur le jukebox.
Je regagne ma place au comptoir. Un habitué me reluque depuis l’autre bout. Imperturbable et joyeuse, je soulève mon verre glacé et je porte un toast “To you Janis, and to me, to us darling !” À ce moment précis, “Coo-Coo” retentit à fond dans le bar !! Je suis plus exaltée que jamais !! La boucle est bouclée ! (cf. Le jour où j’ai rencontrée Janis Joplin – Part 2)

– “Hey ! That’s my favorite !!! Did you know that ??!!!”
Le barman sourit et me tend sa grosse main halée, give him five !!!

Il est 1.10 pm, l’heure de ma naissance. Je souris aux anges, surtout à celui de Janis Joplin !
Je sirote mon Southern Comfort, “Drinks are on Pearl”*, bientôt je quitterai le bar, je verrai la maison qu’elle adorait, je m’immergerai dans l’Océan Pacifique avec elle… Il me reste encore ce souhait à réaliser. En attendant, je savoure cette minute.

 

*Petit mot laissé par Janis à ses amis pour la fête prévue à son enterrement.

SoCo Birthday at The Silver Peso with my red book

Et pour bien comprendre l’ambiance, je vous remets une couche de “Coo-Coo”…

Aujourd’hui, encore une fois, je suis ma meilleure amie…

September 10, 2011  Comments Off on Le jour où j’ai eu trente ans (Part 1)

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