Le jour où je suis arrivée au milieu de nulle part
Avant de partir, Kathryn et Joe m’emmènent manger des “breakfast tacos”. Un grand classique culinaire d’Austin. Le restaurant est une petite caravane et nous nous s’asseyons à une table en bois ombragée.
J’ai le cœur gros de les quitter.
Ils sont trop gentils : ils m’ont trouvé un sac pour emmener les 20 kilos de disques que j’ai achetés ici. (Non, je n’exagère pas)
Le mec de chez Friends of Sound :
– “Alors comme ça vous êtes une fan de Linda Ronstadt ?”
– “Non…” (air étonné).
– “C’est pour ça que vous achetez sept disques d’elle je suppose…”
Kathryn m’a préparé un pique-nique avec de l’eau fraîche, et quelques gaufres dunkerquoises que je leur avait ramenées pour que je puisse me souvenir de mon chez-moi et me sentir bien. Je suis tellement touchée par cette attention que j’en ai les larmes aux yeux ! Et c’est là que je me cogne contre la portière… Je me frotte la tête et je me retourne vers eux pour les embrasser. Nous pleurons tous les trois et Kathryn me dit en souriant : “Go find Janis !”
Je m’arrête à la station service, émue, je fume une cigarette en écoutant “I Take The Long Road” de Naomi Shelton and the Gospel Queens. Je serre dans ma main le collier porte-bonheur avec Pac-Man que Louis m’a offert… Je suis prête à partir. Permière étape de la route vers San Francisco. J’ai environ sept heures de route devant moi, sans compter les pauses.
– “Wow, seems like the mosquitos got you, hu ?”
– “Seems like they love French girls !”
– “You must have a good taste !”
Je souris à la dame de la station service.
“Up Above My Head (Music in the air)” par Ruthie Foster, en live at Antone’s, à plein volume dans la voiture alors que je quitte la ville. Je me souviens du concert à Antone’s justement avec Kathryn et Joe. Elle avait commencé par cette chanson tradtionnelle américaine, c’était la première fois que je l’entendais, après sa prestation je me suis précipitée chez Waterloo pour acheter le dernier CD du bac. Cette chanson, c’est tellement Austin : le son blues-rock, la musique live, et les paroles bien sûr, la musique est une religion là-bas…! Comme le chante Neil Hannon dans “Our Mutual Friend” : “It’s like the soundtrack to our lives”.
“Everywhere I go, I hear music in the air, I really do believe there a Heaven somewhere… All over the world, I hear music in the air, I really do believe there a Heaven somewhere”…
Je traverse Johnson City, Harper, Fredericksburg… Autour de moi défilent des ranchs, des arbres gris tâchés de blanc aux branches tortueuses, des herbes sèches et courtes, jaunes, parfois brunes, parfois vertes, des petits cactus, cailloux et pierres ocre clair. Parfois, j’aperçois deux ou trois petits nuages de coton sur le ciel parfaitement bleu. Un chevreuil explosé sur le bord de la route. Un rapace qui surfe sur le vent. À Harper, sur le panneau d’affichage de l’église luthérienne : “PRAY FOR RAIN”.
Je rejoins l’Interstate 10. L’immense drapeau américain qui surplombe la route s’agite doucement alors que j’écoute “Song In The Breeze” des Outlaws.
J’imagine ce que Janis devait ressentir sur cette route il y a 40 ans quand elle a quitté Austin pour les rivages du Pacifique. Je peux presque l’entendre rire à mes côtés.
À Fort Stockton, je ne suis plus qu’à 53 miles de Paris. Paris, Texas. Bien sûr…
En descendant vers le sud, le paysage devient plus plat. Au loin, l’ombre des gros nuages blancs s’attardent sur les montagnes brunes et ocres qui se voilent de bleu… La route taille en ligne droite. Du bétail, une voie de chemin de fer. Du sable traverse la route, je traverse Alpine. Je passe devant la “Big Bend Cowboy Church”, boutiques de souvenirs apaches, bungalows, mobil-homes… À 6 p.m., la lumière du soleil irradie le paysage. Puis soudain, les montagnes s’éloignent dans la brume à l’horizon. Autour de moi, une immense étendue d’herbes sèches et quelques arbustes chétifs. Je m’enfonce dans ce désert alors que la lumière baisse.
En début de soirée, ma voiture s’engage dans Marfa.
Personne dans la rue principale, le soleil cogne encore, on est dimanche. Quelle étrange bourgade retirée du monde où un vieux bureau de poste fait face à une galerie d’art contemporain…
Une bourgade où Janis n’a certainement jamais mis les pieds.
Me voici donc arrivée au milieu de nulle part.
Je pressens que c’est pour moi le début d’une longue errance jusqu’à San Francisco…
August 7, 2011 6 Comments
Le jour où j’ai arrêté de me déguiser
Toujours un peu négligée, la peau abîmée, le cheveux en bataille et pourtant, certainement une des plus belles femmes qu’on ait pu croiser. Janis Joplin avait un sex-appeal inouï. Quand j’avais 17 ans, cette capacité qu’elle avait à transcender le “paraître” m’intriguait. Elle portait des vêtements indiens bariolés, des plumes, des trucs qui n’avaient pas l’air faits pour aller ensemble et pourtant toujours cette aura autour d’elle…
Elle me fascinait ! Et ça dure encore un peu aujourd’hui, sans quoi je ne serais pas partie à sa recherche… Mais dans ces années-là, je vivais une véritable passion amoureuse pour un fantôme. Et je voulais lui ressembler bien sûr.
Alors, comme une ado que j’étais, à l’époque où mes petits camarades portaient jeans déchirés et t-shirts délavés, j’avais les cheveux (plus ou moins) longs, les tonnes de bracelets au bras droit, les pendants d’oreilles, les bagouzes, le foulard indien et les jeans pat’ d’ef’. Au final, c’était de la connerie, un putain de déguisement, ça m’allait pas du tout. Mais comme je m’inspirait aussi d’autres chanteuses qui m’avaient fait forte impression : j’ai porté les yeux au beurre noir façon Siouxsie (oui, oui, c’était plutôt extrême, j’ai fait une allergie à force d’y aller comme une bourine), la minijupe façon Debby Harry (j’osais pas les talons hauts pour aller en cours non plus), le vernis bordeaux façon Carly Simon… En terminale, je fantasmais surtout sur le look de Linda Ronstadt (en particulier l’album “Simple Dreams”), j’avais acheté les mêmes chaussures qu’elle chez Emmaüs. Je les porte encore même si elles mes défoncent toujours les pieds. Je dessinais des tas de tenues dans mes carnets, des portraits d’Emmylou Harris, de Janis Joplin et des idées de bijoux, je savais pas encore si je voulais être styliste ou designer. Ou typographe.
Je portais une minijupe façon Ari Up (enfin ça c’est moi qui le dit) le jour de novembre 98 où un connard m’a agressée sexuellement. Ça m’a calmée sur le port de la jupe pendant presque 10 ans. Plus maintenant. “Proud Slut”*.
Aujourd’hui à Austin, je me balade sur South Congress Avenue (“SoCo” pour les intimes), et je suis vêtue d’une robe moulante et courte à fines rayures rouges et blanches, d’un “leggings” violet flashy, d’un sautoir Pac-Man en cuivre, de boucles d’oreilles en forme de boules violettes, et de grosses lunettes de soleil roses. Et je me fonds totalement avec la population ! Excepté pour le “leggings”, il fait trop chaud pour porter des collants ! (mais ça fait un rappel avec les boucles d’oreilles) Quoique que la fille assise devant chez “Home Slice”, celle avec un énorme piercing dans le nez, porte un slim noir avec des boots en daim… Et même un pull en crochet beige… 100°F, tout va bien ! J’adore cette ville !
On a beau dire, mais les sapes c’est hyper important : le simple fait qu’on ne leur donne pas d’importance est un indicateur en soi. C’est fou ce que les fringues que nous choisissons de porter peuvent raconter sur nous. Et ce qui est génial c’est que l’on peut changer d’apparence tous les jours si nous le souhaitons. Et brouiller les pistes… Je sors des généralités, je sais, c’est magnifique, mais c’est pour bien appuyer mon propos !
Janis était une rebelle en 1963 quand elle traînait sur le campus en jean, t-shirt noir et sandales mexicaines, quand elle n’était pas tout simplement pieds nus. Une vraie beatnik ! “Beatnik” n’est pas un terme rigolo que je place là au hasard. Non, je fais bien référence à la Beat Generation dont Janis se revendiquait.
Le 27 juillet 1962, le Summer Texan titre sur Janis Joplin : “Elle ose être différente !”. Un chouïa masculine, Janis fut élue “l’homme le plus laid du campus” par des mecs avec qui elle s’était tapé sur la gueule. C’est à ce moment-là qu’elle est partie pour San Francisco avec Chet Helms.
Je suis allée voir la résidence qu’elle habitait sur Nueces St, et en voyant tous ces étudiants d’Austin sapés en short et Ray-Ban, branchés à souhait, j’ai repensé à ces histoires de construction d’identité, d’appartenance ou pas à un groupe à travers le vêtement…
Chet Helms devint par la suite la suite le manager de Big Brother & The Holding Cie (et de Captain Beefheart, il faut le savoir) et il s’installa définitivement à San Francisco. Janis, elle, elle a flippé et elle est retournée au Texas.
Elle a rencontré Roky Erickson** qui venait de créer le 13th Floor Elevator (un des rares grands groupes psychés qui ne soit pas de la côte Ouest) et elle a bien failli rester à Austin (moi aussi !). Si son pote Chet n’avait pas envoyé Travis Rivers la chercher en 1966…
Elle a complètement changé de look, Janis, à San Francisco. Plus hippie, moins beatnik. Plus perso, mais toujours aussi peu passe-partout…
J’ai pas d’images ou de chanson de Janis qui pourrait illustrer tout à fait ce drôle d’article. Mais par contre, je pense à une chanson de Tori Amos (ça change !)…
* Référence aux “slutwalks”.
**Pour info, Roky Erickson vit toujours à Austin, où il apparaît parfois en concert, extrêmement diminué… après une expérience intense des substances illicites, un problème au cerveau et une virée en hôpital psychatrique façon “Vol au-dessus d’un nid de coucou”.
August 7, 2011 2 Comments