Le jour où j’ai pleuré devant la maison de Janis Joplin (Part 1)

Je devrais certainement raconter comment j’ai quitté la France sous la pluie, comment mon voisin dans l’avion a cherché à engager la conversation et comment j’ai souris quand il m’a demandé si Janis Joplin était en tournée, comment j’ai cru que le voyage durerait toute ma vie (ce qui n’est pas complètement faux), comment j’ai jubilé en arrivant à Houston, comment j’ai galéré avec la boîte automatique de ma grosse bagnole “compacte”, comment Stevie Nicks était partout autour de moi, comment le mec de la station service a cru que j’étais anglaise (l’accent scolaire + boucles d’oreilles à pailletes en forme d’éclairs sans doute…), etc, etc.
Mais voilà : je suis arrivée à Port Arthur.

Je pensais me balader un peu dans Houston, j’avais repéré une boutique de bijoux fantaisies dans Uptown où trouver des bijoux de Margaux Lange. Mais hier matin, en quittant l’hôtel, je n’avais plus qu’un seul désir : être à Port Arthur.
Je suis montée dans ma chevrolet de location gonflée à bloc. Le tableau de bord affichait 93°F, Houston Classic Rock Radio diffusait “Whole Lotta Love ” de Led Zep, et j’ai pris la direction de l’Est. Alors que je roulais sur l’Interstate 10, la route presque blanche défilait en ligne droite au milieu des stations services, des fast-foods et des ensembles résidentiels modernes et moches. Plein de grosses bagnoles rutilantes, pas une seule poubelle à roulettes.
Tout d’un coup, l’émotion est montée : j’avais pleuré en disant au revoir à ceux que j’aime, comme une gosse qui part en colonie de vacances, mais à cet instant précis, quelque part entre Houston et Baytown, j’ai pleuré de joie. J’y étais enfin ! Sur cette route, vers la ville qui a vu naître Janis.
Alors qu’une larme coule sur ma joue, la radio se met à diffuser “Me and Bobby McGee”, je souris, je ris, et je pleure de plus belle.

Je veux graver chaque détail du paysage dans ma mémoire : les bayous environnants, les poteaux électriques, le raton-laveur écrasé au bord de la route, les caravanes pourries, les maisons en bois, les oiseaux que je n’ai jamais vus, la grosse plate-forme pétrolière fumante au loin…

À Port-Arthur, je galère un peu pour trouver mon chemin, un black à la station-service me dit qu’il est marié et qu’il me respecte (moi aussi je te respecte va !), et finalement j’atteris devant le Museum of the Golf Coast, joliment sous-titré “Jurassic to Janis Joplin”. Un drôle d’endroit ultra-climatisé où l’on apprend pleins de choses et pas grand chose en même temps : on y trouve une salle pour les personnalités du coin (Miss Texas par exemple, grande figure locale dans les années 40), les meilleurs joueurs de football américains (là je suis larguée), les jolis vases en cristal offerts par des gentils donateurs (beurrrrrk!), des coquillages du Pacifique (logique), une défense d’éléphant d’Asie sculptée (encore logique), une reproduction de la chambre de Laura Ingalls (je déconne, c’est une reconstitution historique de l’habitat traditionnel), un album photo de la “Home Coming Queen 2011″… Et puis une salle “Music Legends” avec, entre autres : ZZ Top, Cookie and the Cupcakes (je connaissais pas je kiffe le nom du groupe !), Johnny et Edgar Winter, Clifton Chenier, Lee Hazelwood, et surtout une vitrine consacrée à Janis, un buste en bronze immonde et une réplique exacte de sa Porsche (l’original est exposée au Rock and Roll Hall of Fame Museum). À part quelques dessins originaux, pas grand chose à voir. Je tripe sur le Juke-Box et je mets “Mercedes Benz” à fond dans le Musée. Juste avant que la sirène d’alarme ne couvre la musique !! J’ai bien cru que j’avais gaffé encore mais non, c’était juste une poussière qui venait de tomber sur une reproduction de la Bible dont la vitrine était mal fermée. Les boules !

Dans la boutique, je traîne un peu. J’hésite à m’acheter une brique de la première maison de Janis pour la modique somme de 25$. J’hésite mais alors vraiment pas longtemps : non mais ça va pas la tête, où est-ce que vous avez vu que j’étais devenue un pigeon ? Les t-shirts Janis sont immondes et il me faudrait une taille enfant pour les porter convenablement. La nana de la caisse est super sympa et comme je lui demande la route pour trouver la maison de Janis, elle me l’écrit sur un petit papier, demande à son collègue de m’expliquer en détail avec la carte (j’ai pourtant bien précisé que j’avais un GPS…), et m’offre un chouette tirage photographique de la première maison de Janis (celle qui a été démolie et dont les briques font à présent fait la joie des collectionneurs et des marchands).

Dehors, la chaleur humide est asphyxiante. les moustiques sont king size comme le reste et je me dépêche de monter en voiture : la clim’, et vite !

Je prends ma respiration. Dans quelques minutes, j’y serai. Je la verrai enfin. J’y serai putain !!

 

Voici le paysage à ce stade :

 

Port Arthur

July 25, 2011  11 Comments

Le jour où j’ai annoncé mon départ

J’ai entendu : “Lucie, si tu pars et que tu reviens jamais, on pourra pas dire qu’il n’y avait aucun risque, on se reprochera pour toujours de t’avoir laisser partir seule”.
Merci A. pour ta considération. Mais c’est un peu comme si tu me disais : “Lucie, si tu traverses la rue et que tu te fais écraser par un camion, on se reprochera pour toujours de t’avoir laisser sortir.”
Fallait pas apprendre à marcher alors.
Personne ne va me donner la main pour toujours. Sauf moi-même bien sûr.
Si je ne revenais pas, sachez que :
• Je veux “Beautiful Life” d’Ace of Base à mon enterrement.
• Avant de partir, j’aurais souhaité vous embrasser tous, vous préparer à chacun une compil’ spéciale et vous dire que je vous aime fort et que j’ai grave kiffé la vie avec vous !
Rassurez-vous, Papa, Maman, je pars seulement en voyage. Sans intention de courir des risques inconsidérés. Et j’ai bien l’intention de revenir !
Chaque jour nous remettons notre existence en jeu, en prenant plus ou moins de risques me direz-vous, mais souvent nous prenons des risques sans le vouloir, la faute à pas de chance comme on dit.
Promis les enfants, je regarderai des deux côtés avant de traverser.
Et si jamais, il m’arrivait le pire, comme quelqu’un me l’a prédit, violée, torturée, séquestrée, les 2 voire les 3 à la fois, ne vous en faîtes pas : ce sera long mais je saurais retrouver le chemin de la maison…

Toutes ces dernières fois qu’on vit sans savoir que ce sont des dernières fois à jamais : la dernière fois que je l’ai serré dans mes bras, la dernière fois que je l’ai vu, la dernière fois qu’on s’est parlé, qu’on s’est embrassés, la dernière fois que j’ai ri à une de ses blagues, toutes ces dernières, sans rappel…

Toutes ces premières fois qu’on ne pensait jamais vivre. Tous ces petits instants précieux qu’on vit sans y penser sérieusement : le premier sourire de la journée, la première vision du soleil du matin, la première cigarette (oui, oui, celle-là c’est la meilleure), le premier bisou (c’est cool quand c’est possible, non ?), la première fois qu’on lit la fin d’un livre génial, et puis aussi : traverser la ville à pied en écoutant de la musique, rigoler à en pleurer avec une copine, regarder les autres vivre assise dans l’herbe, retrouver mon chez-moi, préparer des crevettes à l’indienne, me coucher dans une couette blanche en plumes comme un gros nuage, repenser aux bons moments, passés et à venir, à mes projets pour le lendemain ou la semaine ou les mois futurs.

Comme le sable, le temps file dans nos doigts. On sourira à nouveau, on embrassa à nouveau, on relira le livre génial mais pas comme ça. Et au final, c’est vraiment ce que j’aime dans cette vie : elle demeure insaisissable, changeante, surprenante, parfois décevante mais toujours en mouvement. Les ratés comme les bonnes surprises.
Pourtant cette qualité imprévisible de l’existence est bien souvent ce qui me rend le plus triste. Ainsi, je l’ignorais et pourtant tel ou tel moment était “un dernier”. Ça vaut pour des tas de petites choses apparemment sans importance, ce qui me remonte le moral c’est qu’il y toujours la perspective d’autres petits riens nouveaux, d’autres moments précieux.

Ça me fait penser à Meg Ryan dans “Vous avez un message” (“You’ve got mail”), le film que j’ai vu un million de fois : “les gens disent que le changement est une bonne chose, que c’est ça qui fait la richesse de cette ville, (…) Mais en fait, ce qu’ils disent c’est que quelque chose que vous redoutiez est arrivé”. Et du coup, ça me fait penser à Janis : “Freedom is just an other word for nothing left to loose”, c’est facile de se sentir libre quand on a plus rien à perdre. Mais comme on risque toujours de perdre, on ferait peut-être mieux de toujours jouer (gagnant de préférence, histoire de faire venir la chance), puisqu’on a n’a rien à perdre… Mais au fait, est-ce qu’ON A jamais rien à perdre à la bsae, est-ce qu’ON A vraiment quelque chose au final ? Est-ce que c’est le plus important ou n’est-ce pas plus simplement d’essayer quand même ? “I’m gonna try just a little bit harder”. Il me semble qu’il n’y a qu’en prenant le risque de perdre que l’on peut gagner.

Je ne trouve pas qu’il soit morbide de penser à la mort de cette manière. Comme disait Jean-Louis Murat dans une interview à Crossroads Magazine, “on devrait tous penser à la mort au moins 10 minutes par jour”. Bah oui, si on se rappelait plus souvent que tout peux changer du jour au lendemain, on goûterait plus avidement les plaisirs de la vie, on prendrait les raccourcis vers notre désir, on arrêterait de s’emmerder avec le superflu, on aimerait les autres plus fort, avec humilité et tolérance. Je crois profondément en la nécessité d’expérimenter intensément notre existence. (ça c’est dit.) Chaque jour qui passe, où que je sois dans le monde, il y a cette petite voix qui me rappelle que si je veux quelque chose, il faut que j’aille la chercher maintenant ! Et pourtant, et surtout, cette voix me dicte de savourer le temps qui m’est offert, tranquillement, lentement, comme un soir d’été, car dans le fond rien ne presse vraiment…

“Get It While You Can” comme chantait Janis. On ne connaît pas la suite des évènements : profitons de l’amour avant qu’il ne meure, aimons-nous avant la fin de notre temps.

 

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July 24, 2011  Comments Off on Le jour où j’ai annoncé mon départ

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