Le jour où j’ai eu trente ans (Part 4)
Je m’arrête sur le parking d’une station service pour écrire à Janis à la lumière de la loupiote de ma caisse, en grillant une cigarette. Parce qu’il faut absolument que je lui raconte tout ça, que je lui explique. J’écris fébrilement, dans l’urgence.
“Janis, je t’avais dit que j’avais trouvé…
Oui, je sais ce qui me tient à cœur, je sais comment vaincre le Kozmic Blues pour toujours : il faut trouver le désir profond, celui que j’entretiendrai à jamais quelques soient les aléas de l’existence. Et c’est ça qui m’a pris du temps à comprendre. Mais je sais à présent ce qui me tient, le désir qui surpasse tous les autres. J’ai commencé à y réfléchir à Las Vegas…
Je veux pas vieillir Janis, je veux grandir et je veux continuer de grandir pour toujours et voir où ça peut me mener. Apprendre, m’enrichir d’expériences, d’échanges humains, de musique, de création. Lire, écrire, réfléchir, partager, aimer, écouter, rire, danser, regarder, toucher, goûter et sentir. Cette énergie de vie me tient au corps et je la lâcherai pas putain. Ya pas moyen ! Même si je deviens une petite vieille rabougrie un jour, même si je dois mourir seule dans le noir ou en plein jour. J’irai là où le feu m’appelle. Je veux être.
Si c’est “marche ou crève”, alors je choisis de marcher et je marcherai le plus loin possible. Je veux pas survivre comme tu le disais, mais vivre, hyper à fond, comme toi, saisir chaque instant, et laisser aller le temps, à la vitesse qu’il veut, mais je me laisserai pas crever comme tu l’as fait Janis.
Je veux assumer tout ce que je suis, être pleinement moi-même. Mais pas seulement, je veux aussi m’ouvrir au monde et l’aimer. Je me répète, tout ça je te l’ai déjà dit… Et j’attends rien… C’est juste que mon cœur cogne contre ma poitrine quand j’y pense et j’ai envie de te le hurler Janis, entends mon cri !
C’est vrai que j’ai rien d’extraordinaire, je suis juste un grain de sable, et un jour mon existence sera oubliée, comme tous avant moi, j’aurai rejoint les astres. C’est vrai que rien ne dure, que les amis s’en vont, que les vagues emportent tout sur leur passage. C’est vrai que je ne suis pas célèbre comme tu l’étais en son temps, et je ne le serai sans doute jamais, je ne laisserai peut-être pas de trace de mon passage mais on s’en fout de ça, j’ai créée quelque chose. J’ai créée ma vie, Janis. Et je la recréée tous les jours. C’est ça mon vrai travail d’artiste à moi. Je veux que vivre soit mon art. Mon existence sera mon œuvre. Comme un tableau que je retravaillerais sans cesse. J’ai besoin d’aller plus loin, de marcher encore, de chercher. Tous les jours j’apprends et il me semble qu’il me faudrait une éternité pour assimiler tout ce qui m’intéresse. J’ai soif Janis ! J’ai envie de grandir encore ! Tant pis si ça veut dire être vieille. Si tu es un peu de moi, je te l’ai dit, je veux le meilleur pour nous, une vie magnifique, riche, scintillante et simple en même temps. Et c’est ça ma méthode pour vaincre le Kozmic Blues, créer ma vie, comme on peint un tableau, par petites touches, par giclées de noir, de blanc, d’or ou par aplats de couleurs, tout me va… Un peu comme Carole King qui décrit sa vie comme une tapisserie (cf. Tapestry). Une œuvre gigantesque et miniature à la fois, travail minutieux, patient et enflammé par moment.
Alors ce soir, le Kozmic Blues s’en ait allé, j’ai moins peur de vieillir, j’ai moins peur de mourir. Je le sens au fond de moi, et je suivrai ma route quoiqu’en disent les autres ! Quelque soit l’avis de ceux que j’aime, je sais que ce désir est juste, il est le mien, quelques soient mes choix dans l’avenir, mes choix passés, c’est ma vie et elle est belle ainsi, imparfaite et drôle et vraie et réelle.
Je sais pas si la vie après la mort c’est mieux, à toi de me dire… Ce que je sais c’est que contrairement à toi, moi, j’ai l’opportunité de vivre maintenant et vivre à fond même si je veux. Et je le veux ! Je compte bien en profiter ! Chaque jour, je ferai de mon mieux pour rendre mon œuvre plus belle, plus vraie. Qu’il me reste un jour ou 60 ans à vivre. Que je sois en pleine forme ou malade. Je rendrai grâce à la vie qui coule en moi et irai au bout des mes expériences.
Je sais qu’apprendre, grandir, ça prend du temps, j’en ai fait les frais à l’école déjà, mais maintenant je le comprends aussi pour la vie. Il y a des choses qu’on comprend sur soi, sur les autres, et puis on l’oublie et puis on s’en rappelle et puis un jour on l’a intégré pour de bon. Je prendrais mon temps, ya pas d’urgence, je me ferais aidée s’il le faut, c’est cool des fois d’avoir un guide pour visiter des vieilles pierres, mais toujours je suivrai ce désir.
Je sais que je peux obtenir un chouette tableau au final. Je trouve l’ébauche préparatoire plutôt encourageante et déjà pas mal avancée mine de rien !
Je sais que parfois, j’ai peur de la solitude, j’ai peur de mourir et de n’avoir pas existée, et de ne plus exister à jamais, pour personne. Et pourtant c’est ainsi, je serai toujours un minuscule grain de sable parmi les autres. Je sais pas pourquoi mais mes références bibliques n’arrêtent pas de me visiter… Et je pense à l’alliance de Dieu et d’Abraham, un peuple aussi nombreux que les grains de sable face à la mer… Oui, j’ai peur de disparaître, de finir en poussière de sable, avalée par l’océan, comme toi… Oubliée dans les flots de l’Univers… Alors, je sais qu’il me faut continuer à écrire, c’est ma solution à moi pour imprimer mon passage sur Terre, une trace de ma création. Quel drôle de désir… Est-ce ce à quoi pensaient les hommes préhistoriques quand ils peignaient la trace de leur mains sur les parois des cavernes ? Pourtant, je pressens qu’après la mort, je serai une, pleine, entière et sereine.
Cracher des mots de papier déchirer le ciel et écrire dessus encore encore et encore à jamais.”
Je referme mon carnet rouge. Je fais le plein, j’allume les phares et je redémarre.
Je roule longtemps dans le noir. Je fais un grand détour par Oakland pour rentrer, je ne suis pas pressée.
À 9 p.m., je suis de retour sur Arlington Street. Morgan et Kelly me lancent des regards malicieux alors que je m’avachie, épuisée, dans le canapé. Ils m’ont acheté un vrai gâteau d’anniversaire, un cheesecake avec des fraises et un glaçage au chocolat au lait, et aussi trois bougies magiques, une par décennie. Moi qui les ai rencontrés pour la première fois il y a trois jours, moi qui suis loin de mes proches aujourd’hui, à des milliers de kilomètres de chez moi, moi qui ne connais même pas la date de leur anniversaire à chacun. Je suis tellement touchée par cette attention que j’arrête plus de sourire et de m’extasier ! C’est tellement beau, c’est tellement simple, c’est tellement vrai !
Je fais un vœu en fixant les flammes avec intensité et je souffle avec tant de force et de concentration que j’éteins d’un coup les bougies magiques. On trinque au “SoCo on the rocks”, on discute, on rit, Iggy se frotte à ma jambe pour avoir des câlins.
Au moment de me coucher, je reçois un mail de la clinique de Marfa : les tests sanguins sont négatifs, je n’ai pas la-maladie-de-Lyme-sa-mère-la-pute !!! ” Nous espérons que les symptômes se sont atténués, que vous vous sentez mieux. Bonne continuation, …” Je veux !!! En voilà un beau cadeau d’anniversaire ! L’angoisse sourde qui se tapissait en moi s’évanouit tout à fait.
Je me déshabille dans la salle de bain. Dans le miroir, je vois une jeune femme souriante et heureuse, le corps nu couvert de sable gris comme la cendre.
C’est la plus belle journée d’anniversaire que j’ai jamais vécue.
Je me dit que le lecteur épuisé espère sans doute que j’en ai peut-être fini avec les articles longs et méditatifs… Et bien mes amis, l’avenir le dira ! Déjà ç’en ai fini pour le jour de mes trente ans !
On dirait que je n’ai pas d’illustrations pour cet étrange article, s’il en ai. Eh bien, si, j’ai même l’illustration parfaite. Un détail de ce tableau de paillettes de TIGER GALINDO ART, sublime cadeau pour mes trente ans que Kathryn et Joe m’ont fait parvenir juste que chez moi à Lille. Ah oui, parce que dans la réalité, je suis déjà de retour dans ma vieille Europe et il m’est arrivé pleins de trucs depuis mes trente ans. Notamment ce cadeau, que j’ai accroché dans mon petit chez moi. Mes amis ne pouvaient pas me faire plus plaisir ! J’ai tout de suite reconnu la patte de l’artiste exposé dans leur salon. Alors en relisant mes notes sur ce 11 août 2011, je me dis qu’ils m’ont envoyé le parfait exemple… Une œuvre d’art unique, des paillettes de couleurs, Janis Joplin, et de l’amour ! Ya des jours où on a envie de pleurer devant la beauté de la vie…
September 29, 2011 2 Comments
Le jour où j’ai eu trente ans (Part 3)
J’aime me baigner. J’aime particulièrement me baigner dans l’océan. J’aime l’océan, la mer et les rivières. Quand je lui fait face et que son existence s’étend à perte de vue devant moi, quelques vaguelettes viennent me lécher les pieds, je regarde à l’horizon et je ressens toutes son immensité, sa force, le poids de toute cette eau en mouvement, grouillant de vie, mystérieuse dans les profondeurs. Il me semble alors que je pourrais remonter à la nuit des temps quand tout a commencé par une planète d’océan. Il me semble que je peux retourner dans le ventre de la vie. Je m’avance alors et la fraîcheur de l’eau, le mouvement des vagues sur mon corps m’invite à communier avec le mystère de la création elle-même. La mer, partout, m’accueille en son sein et je danse avec elle. Je ressors presque toujours de ce bain, l’esprit lavé, avec le sentiment d’avoir communié avec la Nature, de me connecter avec l’Univers lui-même, minuscule et vivante dans son immensité mouvante.
Et je pourrais alors écrire “Souviens-toi que tu viens de l’océan et que tu retourneras à l’océan”.* Là où la vie a pris forme, là où notre existence a commencé, là où le mystère demeure. Plus profond et plus sombre que la surface de la Lune, aussi riche que le Cosmos.
Je ne sais pas si Janis ressentait le même appel mystique pour l’océan mais elle a souhaité qu’à sa mort ses cendres soit dispersées à sa surface et s’immergent ainsi pour la fin des temps. Et aujourd’hui, j’ai trente ans, trente ans que je suis, trente que je respire, trente ans que j’apprends à vivre, trente ans que je ris, que j’observe, que je pleure, trente ans que je désire. Et aujourd’hui, je veux nager dans l’océan avec les cendres de Janis Joplin.
Je roule pendant plus d’une demi-heure, virage après virage. La perspective d’une mer glacée infestée de requins blancs ne m’arrêtera pas. Je caresserai les squales s’il le faut.
À 4 p.m., je suis à Stinson Beach, allongée sur une serviette, je contemple le Pacifique. Le temps est brumeux, venteux et frais, autant dire que je ne suis pas pressée de me mettre en maillot de bain. Je me demande si tous ces gens ont conscience qu’ils se baignent avec les cendres de Janis Joplin… Petites particules flottantes, enfouies dans les profondeurs, gobées par les poissons, emportées vers d’autres rives, dissoutes dans les vagues.
Je pense à Janis, à toute la route que j’ai parcourue pour être ici à cet instant. Et si cette histoire était juste dans ma tête ? Dans la réalité, il n’y rien. Pas de signes. Juste le hasard. D’autres vies. Et la mort. Je serre dans mes mains le sable tiède et fin. Une larme coule. Je suis seule, loin de tous, sur une plage froide. Il n’y a que moi et ma capacité à aimer la vie (“et l’aimer même si le temps est assassin et emporte avec lui les rires des enfants”**). À l’aimer telle qu’elle est. Pour ce qu’elle est simplement.
J’attends que le vent chasse quelques nuages puis je me déshabille. Dès que mon corps est habitué à la température extérieure, je me lève et marche d’un pas décidé en direction de l’océan. L’eau du Pacifique est plus froide que la Mer du Nord ! Je prends mon temps, tout mon temps. Je reste plusieurs minutes l’eau à mi-cuisses, les yeux tournés vers l’horizon. Heureusement, pas d’aileron en vue… Seul l’océan qui s’étend avec puissance vers l’infini. Je plonge enfin toute entière, je nage sous le poids de l’eau, expirant l’air contenu dans mes poumons. Je bois la mer, je me lave de ce liquide transparent et scintillant, j’enfonce mon corps dans le sable mouillé et regarde les paillettes sombres repartir à la mer. Je reste longtemps, nageant, flottant, ballottée par les vagues, emportée par les courants, caressée par la brise. Je sors, couverte d’eau, de sel, de sable et des cendres potentielles de Janis, je souris ! Je ris, je pleure ! L’eau salée ruisselle sur ma peau et je ressens alors toute cette vie qui coule en moi. J’éclate de rire et verse des larmes qui ont le goût de la mer. Je dois avoir l’air folle. Je le suis probablement, et alors ? Essayez et vous verrez ! On en reparlera…
Je suis peut-être profondément liée à Janis Joplin mais à cet instant, je prends conscience de cette évidence : il y a une énorme différence entre elle et moi. Elle est morte. JE SUIS VIVANTE. Moi, je suis en vie, moi, je peux sentir le vent, le soleil, le froid de l’eau, entendre la musique, rire avec les autres et m’émerveiller devant la danse d’un petit cerf-volant rouge sur le ciel bleu. Et encore, et encore, et encore !
Je touche mon désir du doigt. Je le prends à pleines mains. Je sais ce que je veux pour mon temps à venir… Je sais ce que je désire pour ma vie au plus profond de moi. Et je murmure le nom de l’idole de ma jeunesse. De l’idole de ma vie. Je sais qu’elle est là sur le chemin, bientôt, je la rencontrerai… Et je serai prête.
J’ai trente ans aujourd’hui et comme hier, comme demain, c’est le premier jour du reste de ma vie.
The Tree of Life…!
*“Souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras en poussière.” (Genèse, 3-19)
** Mistral Gagnant – Renaud
September 21, 2011 Comments Off on Le jour où j’ai eu trente ans (Part 3)